Fos-sur-Mer et l'Etang de Berre face au défi de la décarbonation : transition ou illusion ?

Fos-sur-Mer, ce n’est pas juste une plage où on pique-nique entre deux raffineries. C’est un des plus gros bassins industriels de France, avec des usines qui tournent à plein régime depuis des décennies. Mais aujourd’hui, ces mastodontes du pétrole, de la sidérurgie et de la chimie sont au pied du mur : il va falloir réduire leurs émissions de CO₂. Et pas juste un peu.

D’ici 2050, la France vise la neutralité carbone. Autrement dit, toutes les émissions de gaz à effet de serre devront être compensées par des mécanismes de capture ou des réductions drastiques. Pour un site comme Fos-sur-Mer, qui crache des tonnes de CO₂ chaque année, c’est un sacré défi. Mais les industriels jurent qu’ils sont sur le coup.

Le projet de décarbonation : de quoi parle-t-on ?

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Fos-sur-Mer est une ville en pleine mutation. Entre les enjeux climatiques et la pression des politiques publiques, la ville tente une conversion vers un modèle plus propre. Mais derrière les chiffres impressionnants et les grandes annonces, la réalité est plus nuancée.

Pour répondre aux exigences environnementales, le gouvernement a lancé le programme ZIBaC (Zone Industrielle Bas Carbone), un label censé accélérer la transition verte des grandes zones industrielles. Fos-sur-Mer, véritable bastion de l’industrie lourde, s’est engouffrée dans la brèche avec le projet SYRIUS, une initiative combinant électrification des procédés et recours accru à l’hydrogène décarboné.

Parmi les industriels les plus engagés, ArcelorMittal veut marquer un tournant : 1,7 milliard d’euros investis, un haut-fourneau au charbon remplacé par un four à arc électrique. L’objectif est ambitieux : réduire de 40 % les émissions de CO₂ d’ici 2030. Sur le papier, c’est un pas de géant. Mais dans les faits, cette transition pose plusieurs questions : comment assurer un approvisionnement constant en électricité bas-carbone ? Comment requalifier les milliers de travailleurs impactés ?

En parallèle, Air Liquide mise sur l’hydrogène vert, promettant une alternative propre au gaz naturel dans les industries locales. L’idée repose sur un principe simple : extraire de l’hydrogène de l’eau grâce à de l’électricité renouvelable. Mais là encore, la faisabilité énergétique et économique reste un défi de taille.

Alors, grande révolution verte ou coup de com’ bien ficelé ? Ce qui est certain, c’est que le succès de cette transformation dépendra d’une multitude de facteurs, allant de la gestion des infrastructures à l’implication des citoyens.

Décarbonation industrielle : des ambitions "vertes" et des obstacles concrets

Des investissements massifs pour une transition industrielle

À Fos-sur-Mer, plusieurs projets illustrent ces défis. Par exemple, le projet GravitHy prévoit l'implantation d'une usine de production de minerai de fer préréduit, utilisant de l'hydrogène bas-carbone. Cet investissement de 2,2 milliards d'euros vise une production annuelle de 2 millions de tonnes et la création de 3 000 emplois, dont 500 directs et 2 500 indirects.

Cependant, la mise en œuvre de telles initiatives est complexe. Pierre Fauvarque, responsable du développement "Net zéro" chez LyondellBasell, souligne que leurs sites de Berre et de Fos émettent respectivement 1 million et 300 000 tonnes de CO₂ par an. Pour réduire ces émissions, l'entreprise prévoit sept projets représentant plus de 400 millions d'euros d'investissements, incluant la récupération de chaleur et l'amélioration de l'efficacité énergétique. Toutefois, Fauvarque précise que certaines technologies nécessaires sont encore coûteuses ou pas encore opérationnelles à grande échelle.

Une dépendance accrue à l'électricité : quels enjeux ?

La décarbonation industrielle repose largement sur l'électrification des procédés et l'utilisation d'hydrogène bas-carbone, ce qui entraîne une augmentation significative de la demande en électricité. Selon RTE, gestionnaire du réseau électrique, la consommation énergétique de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pourrait doubler d'ici 2030. Une demande qui s’explique par la transition industrielle, mais aussi par l’électrification croissante des usages domestiques.

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Gravithy, une entreprise sidérurgique durable

Crédit : Gravithy

Cette dépendance accrue à l'électricité soulève des questions : d’où viendra cette énergie propre ? Si les sources renouvelables ne suivent pas, l’empreinte carbone de ces projets pourrait être bien plus élevée qu’annoncée.

De plus, la nécessité de renforcer les infrastructures électriques, comme la construction d’une nouvelle ligne à très haute tension entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent, suscite des oppositions locales. Entre enjeux écologiques et défis industriels, l’équilibre reste fragile.

Des implications sur l'emploi et la formation des travailleurs

Décarboner l’industrie ne signifie pas seulement moderniser les infrastructures, cela implique aussi un changement radical dans les compétences requises. Remplacer les hauts-fourneaux traditionnels par des fours à arc électrique exige une requalification de milliers de travailleurs. Les métiers du secteur doivent évoluer, et les formations adaptées restent insuffisantes.

Une société civile désarmée face aux transformations industrielles

Des associations mobilisées, mais isolées

Si certaines associations comme l’ADPLGF (Association de Défense et Protection du Littoral du Golfe de Fos) ou L’Étang Nouveau tentent d’informer la population et de peser sur les décisions industrielles, elles peinent à mobiliser largement. Leur travail, bien que crucial, manque d’un relais citoyen fort pour porter leurs revendications à plus grande échelle.

La contestation de la ligne à très haute tension (THT) en est un exemple frappant : malgré des pétitions, des réunions publiques et des interventions de collectifs locaux, le projet a avancé sans qu’une mobilisation massive n’ait pu infléchir les décisions. Ce manque d’impact résulte d’un problème plus large : un désengagement citoyen chronique.

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Des dizaines de manifestants se sont donnés rendez-vous à proximité du musée d'Arles antique contre le projet de ligne à très haute tension.

Crédit : Valérie Farine

À Enfants Forts, nous constatons que ce désengagement est souvent le fruit de plusieurs facteurs :

  • Un sentiment d’impuissance : beaucoup de citoyens pensent que leur voix ne compte pas face aux décisions prises par des institutions et entreprises puissantes.
  • Un manque d’information accessible : les débats sont souvent techniques, laissant les citoyens peu armés pour intervenir.
  • Des structures participatives fragiles : le Lab’ Territorial, censé être un espace de concertation, a été dissous en 2024 faute de moyens, illustrant le manque d’engagement des pouvoirs publics pour maintenir ces espaces de dialogue.
À Enfants Forts, on agit

Nous, à Enfants Forts, nous tentons de pallier ces lacunes en créant des espaces de dialogue et de sensibilisation. Nous organisons des rencontres, des débats et des actions locales, avec l’idée que chacun peut devenir acteur du changement.

Nous croyons que la transition écologique et industrielle ne peut pas se faire sans les citoyens. Mais pour que cela fonctionne, il faut leur donner les outils, les espaces et surtout leur prouver que leur voix a un poids réel.

Un territoire qui se transforme sans ses habitants, c’est un territoire qui se transforme contre eux. À méditer...

Sources officielles et institutionnelles

  1. Programme ZIBaC (Zones Industrielles Bas Carbone) – Présentation du programme et des engagements gouvernementaux en faveur de la transition industrielle.➝ Ministère de la Transition écologique
  2. Stratégie nationale pour une industrie verte – Cadre législatif visant à accélérer la décarbonation de l'industrie française.➝ Légifrance
  3. Rapport annuel 2024 du Haut Conseil pour le Climat – Analyse des impacts du changement climatique et recommandations pour la décarbonation.➝ Agenda 2030

Articles de presse et médias spécialisés

  1. "Décarboner la zone industrielle de Fos-sur-Mer : une centaine de chefs d'entreprises appellent l'État à s'engager" – Appel des industriels pour une gouvernance spécifique de la décarbonation.➝ Connaissance des Énergies
  2. "Fos-sur-Mer face au vent de la décarbonation" – Analyse des mutations industrielles à Fos-sur-Mer suite à l'annonce de la vente de la raffinerie Esso.➝ Le Monde
  3. "Décarbonation : la « difficile mutation » de l'industrie française" – Étude des défis rencontrés par l'industrie française dans sa transition écologique.➝ Le Monde
  4. "L'industrie « historique » engage sa mutation à Fos-sur-Mer" – Focus sur les investissements des industries existantes pour réduire leurs émissions.➝ Businews
  5. "La contestation d'une ligne à très haute tension à Fos-sur-Mer" – Examen des oppositions locales face à un projet de ligne THT et des enjeux de participation citoyenne.➝ Novethic

Associations et initiatives citoyennes

  1. Association de Défense et Protection du Littoral du Golfe de Fos (ADPLGF) – Actions et difficultés rencontrées dans la mobilisation citoyenne.➝ Dispositif Réponses
  2. L’Étang Nouveau : association pour la réhabilitation écologique de l’étang de Berre – Initiatives et impact limité sur les politiques locales.➝ L’Étang Nouveau
  3. Projet "GravitHy" : usine de production de fer réduit bas-carbone à Fos-sur-Mer – Détails sur le projet industriel et ses implications environnementales.➝ Débat Public
  4. "Décarbonation : nouvel air pour Fos" – Reportage sur la mutation industrielle en cours à Fos-sur-Mer.➝ Le Mondende